Dossier Bugey 2100

Lu dans Le Progrès du 09/02/2025

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Le Rhône pourra-t-il toujours refroidir les centrales nucléaires en 2100 ?

Le puissant fleuve du Rhône n’a aujourd’hui aucun mal à refroidir les 14 réacteurs nucléaires qui se trouvent sur ses rives.

Mais qu’en sera-t-il au cours des prochaines décennies, quand les débits estivaux auront baissé au rythme de la fonte des glaces et que les eaux auront chauffé ?

La construction de deux EPR2 au Bugey est-elle pertinente ?

Le rhone pourra t il toujours refroidir les centrales nucleaires en 2100 quand il aura perdu sa source 1739040646

Il est déjà le fleuve le plus nucléarisé de France, avec 14 réacteurs installés à Saint-Vulbas (Ain), Saint-Alban (Isère), Cruas (Ardèche) et Tricastin (Drôme). Et le Rhône n’est pas près de perdre ce statut. Puisqu’il est, pour l’heure, le seul cours d’eau à avoir été intégré dans le plan de relance de la filière nucléaire voulu par le président Emmanuel Macron. Avec deux réacteurs supplémentaires annoncés à Saint-Vulbas (Bugey), quand les quatre autres EPR2 doivent être construits en bord de mer (Manche et mer du Nord).

 • Risque infime

Cette domination du Rhône sur l’atome, représentant un quart de la production nationale, n’a évidemment rien d’un hasard. Elle tient à l’exceptionnelle puissance du fleuve (premier débit de France avec 1 700 m3 /s à l’embouchure), qui n’a aujourd’hui aucun mal à satisfaire les besoins des centrales nucléaires, estimées à 355 m3 /s ; sachant que l’essentiel de ces prélèvements est immédiatement rendu au milieu après refroidissement des réacteurs.

Toutefois, on le sait, le réchauffement climatique va bouleverser la distribution annuelle des débits du fleuve lyonnais au cours des prochaines décennies. Au point que certains glaciologues imaginent un Rhône extrêmement bas, en été à la fin du siècle, quand les sources glaciaires auront fondu.

De quoi inquiéter sur la capacité de pouvoir refroidir encore les centrales demain. Avec les risques qui vont avec…

Fort heureusement, le scenario catastrophe d’un Rhône asséché au point de ne plus pouvoir assurer la sécurité des réacteurs qui fonctionneront encore sur ses rives en 2100 est quasiment nul. Car il faut moins de 10 m3 /s pour assurer le refroidissement des cœurs des réacteurs à l’arrêt selon les données de l’Agence de l’eau publiées dans son étude sur l’hydrologie du Rhône sous changement climatique ; un débit infime qui défie toutes les courbes les plus pessimistes.

D’autant qu’un recours aux eaux du lac Léman serait toujours possible en cas de crise sévère (lire par ailleurs).

 • Vers une production au ralenti en été pour sauver la faune ?

À en croire EDF, la baisse attendue de la puissance du Rhône en été ne devrait d’ailleurs pas réellement perturber les réacteurs nucléaires, même lorsqu’ils tournent à plein régime. « En périodes d’étiage, un débit minimum de 150 m/s est garanti par les mesures d’exécution des Eaux d’Arve qui ont été renouvelées fin 2024 entre la France et la Suisse », indique le groupe, qui s’est doté de son propre service climatique pour anticiper les modifications du climat.

« Ce débit est suffisant pour assurer les usages prioritaires : eau potable, hydrobiologie, production électronucléaire. Car la consommation d’eau d’une paire de réacteurs EPR2 représente seulement 1,7 % de ce débit au Bugey (80 % de l’eau prélevée est restituée). »

Demeure toutefois le problème de l’inévitable hausse de la température du Rhône, à laquelle participent les centrales. Il y a tout juste un an et demi, EDF a, en effet, été contraint, par arrêté, de stopper un des réacteurs de la centrale du Bugey en raison d’une température trop élevée de l’eau (26 degrés), faisant courir un risque pour la faune et la flore.

Or, à l’avenir, le Rhône est promis à des hausses de 1,1 à 3 degrés selon les différents scenarii du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat]. L’Agence de l’eau table ainsi sur une baisse de production annuelle des actuelles centrales du Bugey d’environ 5 % en 2055. Avec un pic à -22 % en août, qui risque forcément de grimper encore au fil du réchauffement climatique. Pas idéal dans un monde où la voiture électrique et la climatisation devraient devenir la norme…

Pour autant, EDF reste confiant quant à sa capacité à répondre à tous les besoins : « Même avec des taux d’équipement élevés, les consommations de climatisation resteront loin derrière celles du chauffage. De plus, avec un pilotage optimisé, la climatisation en été pourra être idéalement couplée à la production solaire. »

25 %

C’est le pourcentage de l’énergie hydraulique française produite par la Compagnie nationale du Rhône. La CNR est premier producteur français d’électricité 100 % renouvelable.

Les EPR2 taillés pour le réchauffement climatique ?

Centrale bugey« Démesuré, coûteux, polluant, dangereux, symbole d’un choix énergétique dépassé… » 190 élus de Rhône-Alpes et de Suisse n’ont pas mâché leurs mots, le 28 janvier, au premier jour du débat public consacré au projet de construction de deux nouveaux réacteurs EPR2 à la centrale du Bugey (Ain).

Et ils ont vite été rejoints dans leur combat par des associations antinucléaires. Qui s’inquiètent particulièrement des effets du réchauffement climatique sur les nouvelles centrales dont la mise en service est annoncée pour 2040-2045.

Sur ce point, EDF tient à rassurer : « Le réacteur EPR2 est conçu pour être résilient au réchauffement climatique sur toute sa durée de fonctionnement, d’au moins 60 ans. La température d’air extrême retenue pour la conception est désormais de 53°C et 38 °C pour le site bord de rivière de Bugey. Le changement de climat est, par ailleurs, anticipé dans l’étude environnementale. Grâce au circuit de refroidissement fermé, l’impact thermique sur le fleuve sera extrêmement faible : inférieur à un degré entre l’amont et l’aval. »

La fonte des glaciers des Alpes va-t-elle assécher la production hydroélectrique du Rhône ?

Pour l’heure, l’interminable sécheresse de l’été 2022 est encore à ranger au rayon des anomalies statistiques.

Mais les experts du climat sont unanimes : l’exceptionnel va l’être de moins en moins au cours des décennies à venir, avec le réchauffement climatique qui condamne les glaciers des Alpes, à horizon 2100. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour la Compagnie nationale du Rhône…

Cnr

 • « Nous ne stockons pas d’eau »

2022 est, en effet, un mauvais souvenir pour la société chargée de la production d’hydroélectricité, du transport fluvial et de l’irrigation du Rhône. Le 18 septembre 2022, Christophe Dorée, directeur exécutif de l’exploitation, l’avait même qualifiée, dans nos colonnes, de « pire année pour la CNR ».

Et pour cause : la production d’électricité de sa vingtaine de barrages-usines avait chuté de 20 à 35 % en raison de la division par deux des débits du Rhône (200 m/s).

« Contrairement à d’autres opérateurs, nous ne stockons pas l’eau, expose Éric Divet, directeur ressource en eau au sein de la CNR. Nous faisons uniquement de la production électrique avec des ouvrages au fil de l’eau. Ce que l’on turbine correspond donc exactement à ce qui passe dans le Rhône. Dès lors, si ses débits viennent à baisser durablement en été, la production de nos usines suivra la même courbe au cours des prochaines décennies. »

Toutefois la CNR, dont la concession court actuellement jusqu’en 2041, a des atouts pour résister à cette évolution du climat.

Tout d’abord, elle dispose d’un parc éolien (61 centrales) et photovoltaïque (60 centrales) en pleine expansion.

 • L’hiver pour compenser l’été

Par ailleurs, la perte progressive de production estivale - au cours de laquelle la demande est plus faible - pourrait être, en partie, compensée (dans la limite des capacités de turbinage de ses usines), par l’augmentation des débits du Rhône le reste de l’année liée à la probable baisse des précipitations solides [neige] au profit de la pluie.

Dans son étude sur l’hydrologie du Rhône sous changement climatique, l’Agence de l’eau prédit d’ailleurs une production hydroélectrique annuelle relativement stable pour la Compagnie nationale du Rhône, en 2055. Ce, même pour le pire scenario du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat], le RCP 8.5, qui prévoit déjà +1,5 degré dans trente ans.

La Compagnie nationale du Rhône paraît donc plutôt parée pour affronter l’évolution du climat. Elle pourrait, du reste, être un allié pour maintenir un usage essentiel du Rhône : la navigation.

« Nos aménagements ont transformé le Rhône en une succession de marches d’escaliers, reprend Éric Divet. Cela permet de maintenir les niveaux d’eau même lors d’étiages sévères. »

La gestion du lac Léman : un enjeu majeur

On entend souvent dire que la Suisse a le robinet du Rhône.

Et ce n’est pas complètement faux… Car c’est elle qui a la maîtrise du barrage du Seujet, situé à la sortie du lac Léman à Genève.

Le leman

Et c’est donc elle qui régule le débit du fleuve à son entrée en France, en fonction de ses besoins en hydroélectricité et du respect des niveaux de lac définis en 1884.

Si cette gestion unilatérale n’a pas posé de problème durant des décennies, il en est autrement aujourd’hui, avec le réchauffement climatique qui menace de bouleverser les débits du Rhône et donc ses multiples usages : eau potable, refroidissement des centrales nucléaires, irrigation, production hydroélectrique, navigation…

 • Un accord dans l’année ?

C’est le président de la République François Hollande, en 2015, qui a été l’un des premiers à entreprendre une reprise du dialogue autour de la plus grande réserve d’eau douce d’Europe occidentale, afin d’assurer le refroidissement des 14 réacteurs nucléaires du fleuve.

Un débit minimum de 150 m³/s en sortie de lac a, ensuite, été garanti par les mesures d’exécution des Eaux d’Arve signées en 2020 et renouvelées fin 2024 pour cinq ans, selon les informations d’EDF.

En parallèle, un accord diplomatique est en train de se dessiner pour permettre à la France d’être systématiquement associée à la Suisse pour la gestion du Léman lors des crues ou des épisodes de sécheresses.

« Ce n’est pas encore signé par le ministère des Affaires étrangères mais cela devrait se faire dans les prochains mois, indique la préfète de Région Fabienne Buccio. La Suisse a tout intérêt à ce que le Rhône se porte bien car elle nous achète de l’électricité. »

Directeur général adjoint de l’Agence de l’eau Nicolas Chantepy ajoute : « Le Léman a un rôle fondamental car c’est une immense baignoire. Ses 89 milliards de mètres cubes d’eau peuvent répondre à toutes les situations de crise. Cela représente 11 années du débit moyen actuel du Rhône en sortie de lac… »

Date de dernière mise à jour : 09/02/2025