Interview du directeur du lycée Al-Kindi
Le directeur du lycée privé Al-Kindi : « Je ne suis pas un Frère musulman »
Propos recueillis par Denis Bret
Abdelouahb Bakli indique que le lycée Al-Kindi va déposer un recours devant le tribunal administratif et qu’il ne démissionnera pas de son poste d’adjoint au maire.

La préfecture du Rhône a décidé le 10 janvier de mettre fin aux subventions publiques accordées à l’établissement privé musulman Al-Kindi de Décines-Charpieu.
Son directeur, Abdelouahb Bakli, qui est aussi adjoint au maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau, dit son incompréhension, en réaffirmant son attachement aux valeurs républicaines.
La préfecture du Rhône a décidé de mettre fin aux subventions publiques au lycée AlKindi à partir de la rentrée de 2025.
- Comment vivez-vous cette situation ?
- La situation actuelle est presque inédite. Depuis trois ans, les établissements privés musulmans font l’objet de beaucoup d’inspections. Les établissements privés catholiques sont contrôlés une fois tous les quinze ans quand les établissements privés musulmans, sous contrat ou hors contrat, le sont toutes les années. En 2023-2024, Al-Kindi a eu cinq contrôles et inspections.La rupture du contrat est très regrettable. Depuis 2007, c’est un établissement qui a fait ses preuves. Il a signé un contrat avec l’État en 2012 puis, chaque année, on lui a ajouté des classes. Les taux de réussite sont à la hauteur des attendus. En 2020, 2021 et 2022, cet établissement a terminé premier établissement du Rhône dans le palmarès des lycées au baccalauréat. En 2024, nous avons eu 100 % de réussite au bac avec des taux de mentions de 86 %. Il faut aussi dire que plus de 50 % des lycéens sont boursiers.
- La préfecture cible « une proximité des établissements Al-Kindi avec la pensée des Frères musulmans dont le projet est contraire aux valeurs de la République ». Vous avez été membre de l’UOIF, vous sentez-vous personnellement visé par ces propos de la préfecture ?
- Pas du tout. L’établissement est indépendant et autonome. Il n’est ni rattaché à l’UOIF ou autres organisations comme les Frères musulmans. Je le dis et je le répète je ne suis ni Frère musulman, ni Franc-Maçon. Dès ma prise de fonction en 2020, j’ai démissionné de tous mes mandats associatifs car je voulais faire la part des choses en me consacrant à mon travail et à la Ville.
- Laurent Wauquiez vous a accusé quasi nommément le 14 décembre dans sa vidéo en ligne, parlant d’un directeur « très proche des Frères musulmans »…
- Ces propos sont mensongers et diffamatoires. Nous avons fait le choix de faire un dépôt de plainte. Dans l’établissement Al-Kindi, tout le programme d’histoire est enseigné. Nos enseignants sont régulièrement inspectés et ont toujours été très bien notés. Depuis trois ans, nos élèves vont visiter le musée du génocide arménien. Nous avons des partenariats avec la maison d’Izieu dans l’Ain.
- Vous êtes aussi depuis juin 2024 adjoint en charge de la démocratie locale et de la vie associative. Votre fonction est-elle mise à mal ?
- Je fais bien la distinction entre ma vie professionnelle, ma vie privée et ma vie d’élu. Dans le mandat que m’a confié Gaël Perdriau , je remplis pleinement mes missions. Les services et les associations qui sont dans mon périmètre sont satisfaits de mes accompagnements, de mes arbitrages. Je ne pense pas du tout que mon travail d’élu soit mis à mal.
- Les neuf élus du groupe Saint-Etienne avant tout, présidé par Nicole Peycelon, demandent votre démission. Allez-vous démissionner ?
- Je suis un peu surpris car ces neuf élus ont travaillé avec moi de 2020 à 2024. Sur les valeurs de la République, sur la laïcité, sur la citoyenneté, on était sur la même ligne. J’ai trente-trois ans de fonction publique derrière moi. Les valeurs de la République après les avoir acquises, comprises, je les ai incarnées, portées, défendues et enseignées. Quand Mme Peycelon a rencontré un ou deux problèmes dans des lieux de culte musulman, elle est venue m’en parler. On était en parfait accord. Je regrette leur position mais que les choses soient claires : je ne démissionnerai pas.
- Vous avez toujours été un fervent défenseur du maire de Saint-Etienne, Gaël Perdriau qui vous a, lui-même, toujours soutenu. Estimez-vous que ces élus qui réclament votre démission et qui appartenaient jusqu’en juin 2024 à la majorité municipale, préparent les prochaines élections municipales ?
- Sur mon soutien à Gaël Perdriau, je défends la présomption d’innocence. Si ça avait été Nicole Peycelon ou une autre personne, j’aurais eu la même position. Je ne défends pas la personne mais le principe. La Justice fera son travail. Concernant la question de savoir si ces neuf élus préparaient déjà les prochaines élections municipales, ils l’ont dit. C’est la vie démocratique. On verra ce qu’il adviendra.
- Pour vous la République, c’est quoi ?
- Pour reprendre les propos de Jacques Chirac, je suis un fils de la République. Je n’ai connu de toute ma vie que la République. Ma scolarité a été faite dans des établissements publics. À 19 ans, j’étais déjà fonctionnaire de l’Éducation nationale puis au ministère de la Justice jusqu’à mes 53 ans. Je suis un fils d’ouvrier de la République, un fervent travailleur de la République et un défenseur de ses valeurs. Aujourd’hui plus que jamais, ce sont des principes que l’on doit tous protéger car on a besoin de travailler sur un projet inclusif pour la France.
- Est-ce difficile d’être musulmans en France en 2025 ?
- Je suis plutôt d’un tempérament optimiste. La République on l’aime, on la défend et on la construit. L’histoire a montré que, parfois, les gouvernements n’ont pas respecté la République, écrivant une page sombre de l’histoire de France. Aujourd’hui, beaucoup de nos compatriotes de confession musulmane s’interrogent sur le sort qui leur est réservé. Ils ont un sentiment d’injustice, de discrimination. Pour en revenir au cas Al-Kindi, c’est l’incompréhension totale. Quand ils comparent des décisions qui sont prises pour d’autres établissements parisiens, c’est deux poids deux mesures. Ce ressentiment-là, ils vont le garder très longtemps. Ils maintiennent leur confiance en la République mais ils ont l’impression que ces principes républicains sont à géométrie variable.
« Promotion du djihad, supériorité des musulmans »
D.B.
Lors de l’inspection académique du 4 avril 2024, des livres « contraire aux valeurs de la République » ont été trouvés au centre de documentation et d’information de l’établissement AlKindi. Deux d’entre eux feraient « la promotion d’un djihad violent » et prôneraient « la supériorité des musulmans ».
Sur ce point Abdelouahb Bakli s’explique : « Suite à des inspections pour lesquelles nous avons répondu point par point, il reste ces fameux ouvrages. Quatre étaient sur une base de données et donc pas accessibles aux élèves. Deux en revanche l’étaient mais ils étaient consultables uniquement avec un référent, un adulte afin de contextualiser là où il y avait des choses à préciser. Ces choses contraires aux valeurs de la République mais ont été publiées il y a deux trois siècles, voire au Moyen Âge. Des passages que l’on peut aussi trouver dans la Bible, la Torah ou le Coran. Notre travail était justement de contextualiser, de prendre des distances pour expliquer aux élèves. Ces deux livres sont en vente libre en France et on les trouve dans les bibliothèques. Ces passages, on ne les conforte pas du tout. On est contre mais on ne va pas censurer tous les livres… »